On dit souvent que les muses sont capricieuses et la mienne ne fait sûrement pas exception à la règle. Alors que je devrais être en train de rédiger la fin du Chant des Ombres, que vous êtes plusieurs à m'avoir dit attendre avec impatience, voilà que cette petite coquine m'a mis dans la tête l'histoire d'un jeune parisien aux prises avec un drôle de phénomène.

Et quand mademoiselle Muse s'écarte du droit chemin, je n'ai généralement d'autre choix que de lui emboîter le pas, jusqu'à ce qu'elle se décide à lâcher du lest et à me rendre enfin les rênes. Ainsi donc allez-vous découvrir ce petit drabble complètement déconnecté de mes écrits en cours. Et qui sait, peut-être donnera-t-il lieu, un jour ou l'autre, à une histoire plus conséquente ?

Lorsque Camille ouvrit les yeux ce matin-là, il sut immédiatement que quelque chose d’anormal l’avait tiré du sommeil. A la luminosité qui s’infiltrait joyeusement dans sa petite chambre de bonne à travers les volets, il faisait jour depuis plusieurs heures déjà. Il resta un moment allongé entre ses draps chiffonnés, scrutant les arabesques enchevêtrées de l’atroce papier peint fleuri qui couvrait ses quatre murs. Une certaine agitation lui parvenait d’en bas, dans la rue, et c’était sans le moindre doute ce qui l’avait réveillé. Il soupira tout en s’étirant de tout son long.

Il avait passé une nouvelle nuit de débauche, à jouer et perdre une petite fortune dans les salons de celle qu’on appelait la baronne Merelson, et qui n’avait probablement de baronne que le nom. S’il avait encore vécu chez ses parents, nul doute que son père l’eut vertement sermonné à propos de ses activités de noctambule, mais c’était précisément la raison pour laquelle il avait déserté le domicile familial. Assez de sermons, sans quoi il allait sombrer dans la dépression ! S’il avait envie de dilapider la petite fortune héritée de sa grand-mère maternelle, c’était son droit le plus strict, et son père n’avait rien à y redire. Il ne la dilapidait d’ailleurs pas vraiment, puisque la plupart du temps, il gagnait. Pas la nuit précédente, certes. La soirée de la veille n’avait pas aidé à faire fructifier son capital...

Mais il n’était pas inquiet. Il se leva d’un bond, agacé soudain des exclamations qui fusaient sous sa fenêtre. Que diable pouvait-il bien se passer pour créer toute cette agitation ? Vêtu de sa seule chemise, largement ouverte sur son torse, il ouvrit sa fenêtre et repoussa fermement les volets, bien décidé à exiger un peu de calme. Mais le spectacle qui se révéla alors à sa vue le cloua sur place, muet de stupeur. Les rues de Paris étaient inondées ! La Seine semblait avoir débordé de son lit pendant la nuit et se répandait lentement mais sûrement dans les rues de la capitale. Par quel miracle, il se le demandait bien. On était en plein été, et le ciel n’avait pas déversé une seule goutte de pluie sur la région depuis des semaines. On commençait même à parler de sécheresse. Alors d’où pouvait bien venir cette eau grisâtre ?

Il se détourna, attrapa son pantalon sur la chaise qui jouxtait son petit cabinet de toilette, et sauta dedans. Puis il s’aspergea longuement le visage, et une fois ses ablutions terminées, passa une chemise propre. Après quoi, il dissimula son colt dans la ceinture de son pantalon, enfila ses bottes, et s’engagea fermement dans l’escalier en claquant la porte derrière lui. Il fallait qu’il voie cela de plus près. Lorsqu’il déboucha dans la rue, le niveau de l’eau avait encore monté d’un cran, repoussant les curieux le long des façades des immeubles haussmanniens qui bordaient l’avenue. Camille avança de quelques pas, indifférent à l’eau boueuse dans lequel ses bottes bien cirées n’allaient pas tarder à baigner, uniquement poussé par la curiosité.

— Je ne ferai pas ça si j’étais vous...

C’était un homme en sombre costume trois pièces dont l’abdomen rebondi débordait largement du gilet. Un affreux nœud papillon orange lui enserrait le cou, réduisant à lui seul à néant tous les efforts qu’il consentait pour paraître issu de la petite noblesse. Il tenait un cigare éteint à la main, et le portait régulièrement à sa bouche sans pour autant l’allumer. Il avait l’air soucieux, mais ne s’exclamait pas comme le reste de ses congénères. Camille haussa les sourcils en signe de perplexité, mais il n’eut pas le temps de l’interroger. Du pied de l’immeuble voisin, de nouvelles exclamations jaillirent soudain, et dans une explosion de froufrous violet foncé, une grosse dame passa vivement les hautes portes ouvragées. Son majordome lui courait après, en essayant désespérément de la retenir.

Mais il était clair qu’elle ne voulait rien entendre. Il finit par renoncer, les bras ballants et complètement démuni, la regardant relever à deux mains le bas de ses jupes avant de s’élancer dans la rue d’une démarche assurée. Elle n’alla pourtant pas bien loin. Camille la vit marquer une nette hésitation lorsque ses souliers à talons carrés pénétrèrent dans l’eau sale et... visqueuse ? Oui, il le nota presque sans y penser. Ce n’était pas que de l’eau, c’était beaucoup trop épais, pas assez mobile, pour ça. La femme s’entêta cependant jusqu’à baigner jusqu’aux genoux. C’est alors seulement qu’elle se figea et poussa un hurlement de douleur qui fit sursauter tous les badauds. Ses joues fardées de rose devinrent aussi blanches que de la farine, et elle recula vivement en geignant, les yeux écarquillés sur la substance huileuse qui collait à ses bas.

Son majordome se précipita à son secours, et après un regard suspicieux en direction du gros bonhomme au cigare, comme s’il était responsable de la situation, Camille l’imita. A deux, ils la tirèrent en arrière jusque sous la porte cochère, où ils l’assirent aussi doucement que possible sur le sol pavé. Le domestique décomposé s’autorisa à relever légèrement ses jupes sur une paire de bas mauves entièrement rongés, à tel point qu’ils avaient presque complètement disparu au-dessous des genoux. La peau blême de ses jambes était couverte d’immondes cloques rouges qui s’y étalaient en un douloureux canevas. Les yeux écarquillés, trop conscient de ce qui aurait pu lui arriver si l’homme ne l’avait pas arrêté, Camille n’arrivait pas à détacher son regard de cet étonnant spectacle. Ce que voyant, le majordome rabattit prestement le tissu déjà très abîmé sur les membres dodus.

— C’est comme ça dans toute la ville, et le niveau continue de monter. Ce n’est pas de l’eau, ce n’est pas la Seine qui est en crue. Je ne sais pas d’où ça sort au juste, mais c’est corrosif. En dehors de la pierre, ça dissout absolument tout.

Les feuilles de route vont me permettre de vous faire découvrir, en quelques mots et au moins une fois par mois si j'arrive à m'y tenir, mes petit bilans écriture. Il semble que cela prenne, presque insidieusement, une part de plus en plus importante dans ma vie, alors autant vous raconter et vous faire partager la naissance de cette nouvelle passion !

Le chapitre quatre du Chant des Ombres fait appel à un procédé bien connu de qui cherche à évoquer des événements passés, récemment ou pas d'ailleurs, le flash-back. Au début de cette section, Manille est en voiture, et elle se souvient de la manière dont elle a quitté le centre de recherche. Cela m'est venu comme ça, je n'ai pas vraiment réfléchi à la manière dont je voulais construire cette partie de l'histoire, elle s'est imposée d'elle-même. Ce n'est qu'après être pratiquement arrivée en fin de chapitre que j'ai réalisé qu'il manquait légèrement de dynamisme, et que j'allais devoir le clôturer en beauté.

En beauté, cela signifiait, dans mon esprit, par une scène pleine de rythme. Une scène d'action, dopée à l'adrénaline et capable de vous faire faire des cauchemars, chers lecteurs ! Seulement voilà, je n'avais jamais écrit pareil texte, et je ne savais pas précisément comment m'y prendre… Alors j'ai cherché sur le net quelques conseils avisés d'auteurs passés par là avant moi. Et j'ai trouvé quelques petites choses intéressantes au sujet du rythme, qui influe directement sur l'impact que l'on veut donner à une scène, et de la dynamique, qui rend les choses plus ou moins vivantes.

La musicalité du texte, son rythme, vient souvent de la manière dont phrases longues et/ou courtes s'enchaînent. On aurait tendance à penser, et c'était mon cas, que les phrases courtes étaient réservées à des actions rapides, et donc dynamiques, et les phrases longues plutôt à de la description. Ce n'est pas forcément le cas, ou en tous cas pas de manière aussi triviale. On peut très bien écrire une phrase longue composée d'une succession d'actions, sans complément superflu. A l'inverse, une phrase à la structure toute simple peut s'avérer suffisamment évocatrice pour plonger le lecteur dans un abyme de perplexité : « Elles éteignent les couleurs ».

La ponctuation joue également, les éléments dits « coulants » comme les virgules ou les points de suspension soulignant généralement la quiétude, la paix. Mais pour donner du vivant à une scène, rien de tel que le choix des mots. Et en particulier quand il s'agit d'une scène destinée à effrayer le lecteur, car rappelez-vous qu'il n'est rien de pire que d'être confronter à ses propres peurs. Et dans ce domaine, l'imagination du lecteur est votre meilleure alliée. Les images, les métaphores, sont autant d'outils pour planter le décor et mettre dans l'ambiance.

Tout ça, c'est bien joli, mais c'est de la théorie ! La grande question à présent, c'est de savoir si je vais réussir à l'appliquer dans cette fameuse scène finale du chapitre quatre. Et ça, chers lecteurs, vous seuls seraient à même de me le dire à la lecture. Je compte sur vos retours ! Quant à vous, amis auteurs, avez-vous déjà été confrontés à pareil problème de rythme ?