L'AMULETTE DU TEMPS

By Elyë lundi, décembre 28, 2015 ,

On entend souvent dire qu'un auteur écrit pour lui-même, pas pour faire plaisir à son lectorat. C'est un fait, j'écris ce qu'il me plaît d'écrire, je suis incapable de le faire sur commande. Cela étant, quel plaisir également de le faire tout en sachant que quelqu'un quelque part lit régulièrement vos textes, et mieux, les apprécie généralement ! 

Le Jorian dont il est question ici existe réellement dans la vie, et c'est un magicien, un magicien de l'encouragement et du soutien. Alors pour te remercier, Jo, je te propose une incursion dans L'Ombre-Éclair, au cours d'un petit drabble de Noël peut-être plus important qu'il n'y paraît...

Crédits : SofieCFriis

Lorsqu’il émergea avec précaution du quartier des apprentis situé dans les anciennes cryptes de la forteresse, Victor resta planté de longues secondes en haut des marches qui remontaient du sous-sol. La première neige de la saison était tombée pendant la nuit, et elle recouvrait tout d’une nappe banche et immaculée. A sa plus grande joie, nul ne s'était encore aventuré dans la cour du château. Il allait être le premier à violer l'étendue neigeuse en se laissant tomber en arrière et en battant des bras pour y dessiner une cohorte d'angelots. Le soleil levant se reflétait sur la neige en un million de minuscules étoiles, qui le faisaient plisser des yeux mais aussi sourire tout grand comme un benêt.

Cela faisait maintenant plusieurs mois que Victor avait été amené à Lune-Rousse, sur les terres du Seigneur de Malgan. Grâce à Cody, devenu son plus cher ami en ces lieux, il ne s'y trouvait pas complètement malheureux, mais sa mère lui manquait, surtout à l'approche de la fête de la nativité, et les journées d'étude auprès de Maître Épacius lui paraissaient souvent bien longues. La vision féerique qui s'offrit à lui ce jour-là lui fit pourtant tout oublier. Un grand sourire plaqué sur le visage, il s'avança jusqu'au centre de la cour à grands pas précautionneux. Il tourna sur lui-même pour déterminer la meilleure orientation, puis se laissa tomber en arrière de tout son long, et agita les bras de haut en bas avec un petit rire ravi.

C'est au moment où il se relevait pour admirer le résultat de ses efforts que la chaînette lui glissa entre les doigts. Étonné, il la retint juste avant qu’elle ne lui échappe et n’aille s’enfoncer dans la neige. Ignorant ses vêtements trempés et ses fesses en train de congeler, il éleva l’objet au niveau de ses yeux avec curiosité. Le pendentif avait la forme d’une tige d’or souple de laquelle pendaient sept lanières de fil d'or également. De plus en plus intrigué, il jeta un coup d’œil à la ronde, à la recherche du propriétaire de ce magnifique objet. A moins que, sa convoitise attisée, ce ne soit pour s’assurer que nul n’ait assisté à la scène ?

De son autre main, il manipula doucement les sept brins, les faisant rouler entre son pouce et son index, et s’interrogeant sur la conduite à tenir. La raison lui dictait de remettre ce trésor à Maître Épacius, lequel se chargerait de retrouver son propriétaire et de le lui rendre. Peut-être même Victor aurait-il droit à une récompense pour avoir aidé à remettre la main dessus ? C’était une possibilité. Malheureusement, il y en avait une autre, et cette dernière consistait tout simplement à taire sa découverte pour pouvoir conserver sa trouvaille. Seulement si quelqu’un s’apercevait jamais qu’un tel objet était en sa possession, cela barderait pour l’apprenti.

Peu à peu, tout en réfléchissant, il avait démêlé les sept fils d’or et parcourait le dernier de ses doigts, sur toute sa longueur, lorsqu’un éclat de lumière lui fit brusquement fermer les yeux, ébloui. Lorsqu’il les rouvrit, ce fut pour découvrir que le décor autour de lui s’était métamorphosé. Il se trouvait dans une pièce ronde qui avait tout l'air d'être située au sommet d'une tour. La nuit était tombée, et à travers de nombreuses ouvertures séparées par des colonnes de marbre, il pouvait voir les étoiles briller haut dans le ciel. De simples tentures de velours rouge protégeaient habituellement les occupants du froid, mais elles avaient été relevées, laissant place au long nez cuivré de télescopes sur pieds. Malgré la chiche lumière dispensée par les chandeliers, on pouvait voir clairement que la pièce était encombrée d'un capharnaüm indescriptible. Jarres débordant de parchemins, sabliers en tous genres, planisphère en noyer, cerceaux métalliques... Il était clair qu'un inventeur occupait les lieux.

- Bienvenue ! C'est un artefact puissant que tu as là, dis-moi...

Victor sursauta et se retourna brusquement. Un homme s'était trouvé derrière lui, et lui faisait face à présent, souriant, les mains occupées à tordre une tige d'or. Il était était brun, avait les yeux d'un vert très pâle, et était vêtu d'une longue robe de velours bleue. Il n'avait pas l'air en colère de son intrusion, bien au contraire, il le regardait avec bienveillance. L'enfant lui sourit en retour et se détendit quelque peu. Il montra l'objet qui l'avait amené céans.

- Je ne sais pas ce que c'est précisément, je l'ai trouvé dehors dans la neige.

L'homme s'approcha et tendit la main. Victor marqua une légère hésitation, mais finit par lui remettre l'objet qu'il tourna quelques secondes entre ses doigts. Puis il hocha la tête, comme si ce faisant, il avait obtenu confirmation de ce qu'il avait d'ores et déjà deviné.

- Et bien vois-tu, il s'agit de ce qu'on appelle communément une amulette du temps, chez les gens de ma caste. Elle ressemble à un simple bijou sans importance, et c'est presque le cas. Sauf que l'un des sept brins que tu vois là ouvre un hiatus temporel. Se promener le long de ce brin, c'est voyager dans le temps, mon garçon. Comment t'appelles-tu, d'ailleurs ?

Victor écarquilla les yeux et ouvrit tout grand la bouche sous l'effet de la surprise avant de donner son nom d'une drôle de voix enrouée. Voyager dans le temps ? Comment était-ce possible ? Il secoua la tête, niant l'évidence, et observa son hôte qui lui rendait son bien, les sourcils froncés, à la recherche d'un signe de la supercherie. L'homme éclata de rire.

- Je m'appelle Jorian, Jorian Pointdujour, et je suis l'inventeur du Seigneur Hersart de Malgan. As-tu déjà entendu ce nom ? Hum... A ta mine, je devine que oui. Mais tu peines à me croire, n'est-ce pas ? Dis-moi, où te trouvais-tu avant de surgir brusquement dans mon atelier ? Au sommet d'une tour ?

Il désignait la pièce autour de lui. Victor secoua la tête, soudain pris de mutisme. Il avait effectivement entendu parler d'Hersart, il avait même vu un portrait de lui. Dans la galerie du château de Lune-Rousse, là où se trouvaient tous les ancêtres du Seigneur Rodrick, tout au bout du couloir, avec les premiers Seigneurs de Malgan.

- J'étais dans la cour du château, il avait neigé et je dessinais des anges dans la neige avec mes bras. C'est là que j'ai trouvé l'artefact. Je... l'ai examiné, et... j'étais ici.

Jorian hocha la tête avec un air de compréhension amusée. Bien qu'il discutât avec Victor, il n'avait pas interrompu son travail et voilà qu'à présent, il faisait glisser une boule dorée d'un peu plus d'un pouce de diamètre le long de la tige qu'il venait d'arrondir. S'apercevant de la curiosité de Victor, il désigna une étrange structure sur la droite du garçon. Elle était installée sur un large piédestal en marbre, bas, de forme hexagonal. En son centre, se trouvait une représentation d'un soleil souriant, et tout autour de ce dernier, l'inventeur avait positionné des cerceaux métalliques figurant différentes orbites qui se croisaient. Chacun d'eux portait une boule d'or de taille variable. 

- Qu'est-ce que c'est ?

- Ah, ça mon garçon, c'est l'invention de toute une vie. Enfin, celle-ci n'est qu'une maquette et elle est loin d'être terminée, mais...

Une brusque nausée s'empara de l'enfant et le fit se plier légèrement en deux. Il étendit les bras sur les côtés à la recherche de quelque-chose pour stabiliser son assise chancelante. Les sons allaient et venaient à ses oreilles, en une effrayante sarabande, et les rideaux pourpres qui bordaient la pièce étaient devenus flous. Jorian s'interrompit, surpris, puis il sourit à nouveau.

- Oh, il semble que j'aie oublié de te préciser quelque-chose à propos de cette amulette, quelque-chose d'important. Sept minutes... C'est le temps précis que dure chacun de tes voyages, pas une seconde de plus, pas une de moins. Tu repars, Victor, tu repars déjà... Je suis ravi d'avoir fait ta connaissance, mon garçon.

Lorsque Victor rouvrit les yeux, tout était blanc. Et jaune. Le soleil s'était levé pour de bon et baignait la cour de sa radieuse lumière. Il baissa le regard sur l'amulette qui gisait au creux de sa paume, et sans plus d'hésitation, referma prestement les doigts dessus. Il n'était plus question de s'en séparer !

2 commentaires

  1. Une petite histoire sympathique à lire, même si j'étais un peu perdue dans l'univers :)
    Je comprends que Victor choisisse de garder l'amulette à la fin, voyager dans le temps, même pour 7 minutes, c'est un beau cadeau ! ^^

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    1. Merci d'être passée la lire en tous cas, Rose ! A très bientôt sur l'Allée, bises et joyeuses fêtes.

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